Essai pour le Fukushidoin (assistant enseignant) de Mickaël Sondag, présenté le 17 avril 2022.
Illustration : statue dans le dojo de San Diego Birankaï (USA).
Au commencement était la savane. Ou la jungle, en fonction des préférences de chacun. Il y en avait, du monde. Des animaux de toutes sortes. Des bien badass aux petits ridicules. Et puis, il y avait nous. Enfin, pas nous directement, mais nos arrières-arrières-arrières (…) grand-parents. Il y a quelques dizaines de milliers d’années. Voire plus.
Nos ancêtres étaient guère plus impressionnants que nous. Pas de griffes, mais des ongles. Des dents tout juste bonnes à mâchonner. Des jambes franchement pas rapide. Et en plus, nos ancêtres ne volaient même pas.
Mais comme vous avez pu le remarquer, ils ont survécu. Ainsi que leur descendances. Pas mal pour un animal aussi peu redoutable…
Mais il faut dire que nous avons un outil particulier. Un cerveau qui apprend. Et comment apprend-il ? En échouant. En faisant des erreurs. Et en les rectifiant, bien évidemment.
Essayer. Échouer. Pas grave. Mieux essayer. Mieux échouer.
On ne peut faire l’économie de l’échec. On ne peut apprendre à quelqu’un d’autre à faire du vélo.
On peut lui donner des conseils, on peut vérifier l’état des freins, on peut enlever les cailloux sur le chemin, lui déconseiller de boire du vin avant de monter sur le vélo. Mais on ne peut apprendre à la place de quelqu’un à faire du vélo.
Tout simplement parce que pour apprendre à faire du du vélo, il faut faire du vélo. Il faut remarquer que si on se penche trop à droite, on tombe. Alors, on rectifie. Et parfois – souvent – trop tard. Ainsi, on apprend. Et on sera tout aussi incapable de le transmettre à quelqu’un. Et oui, on ne peut apprendre à quelqu’un d’autre.
On ne peut que vérifier l’état du vélo, enlever les cailloux du chemin, et proposer à l’apprenant d’être dans de bonnes conditions.
C’est parce que je me suis déjà éraflé les genoux lors d’une gamelle que je sais que je ne dois pas freiner brusquement sur du gravier. On me l’avait certainement dit avant que ca m’arrive… Mais il fallait que j’en fasse l’expérience pour que cela soit inscrit dans ma tête de linotte.
C’est comme ça. Pas de raccourci dans la vie (et puis, un raccourci pour arriver où ? Au bout de notre vie?).
En situation d’enseignement, il est tentant de vouloir «aider» l’apprenant. Vouloir lui indiquer un raccourci. Lui expliquer comment faire.
En gros, lui faire économiser l’expérience de l’échec.
Mais est-ce profitable, ou même possible ?
Que restera t’il de tous ces «conseils» que je pourrai distiller sur l’exécution d’une technique ?
Certes, un accompagnement est nécessaire, d’autant plus en Occident, où nous avons l’habitude de tout expliquer et tout questionner. C’est nécessaire pour que le nouveau-venu se sent pris en compte, accepte de revenir une 2ème fois, puis une 3ème fois au dojo, et ainsi de suite…
Mais je crois que l’Aïkido possède tous les outils pédagogique nécessaire. L’atemi en est un, bien évidemment, qui se suffit à lui-même. Bien dosé, pour être marquant sans être traumatisant, il est limpide de sens : tu es mal placé. L’atemi peut aussi faire parti de la technique, et il ne doit pas être vu systématiquement comme une sanction.
La maîtrise de l’Aïkido est basée sur la répétition. Répétition apparente, car on ne peut faire deux fois la même chose. À l’image d’un musicien qui répète ses gammes, seul le profane considérera que la musique tourne en rond. L’initié verra que si la musique ne change pas, le musicien lui, se transforme. À travers les gammes, il devient pleinement musicien, cet être étrange qui sait assembler les sons pour en faire quelque chose de divin. Et cela passe, surtout et avant tout, par la répétition.
C’est par la répétition qu’on repère, puis gomme, petit à petit, les défauts. D’autres défauts apparaissent, puis sont gommé. C’est un processus qui a fait ses preuves dans les arts martiaux.
«Le talent, c’est 1 % d’inspiration, et 99 % de transpiration…»
Voilà donc un autre outil : la répétition. L’apprenant est là pour apprendre. En répétant, il comprendra qu’il y a une manière plus efficiente de faire la technique.
Encore faut-il savoir que l’on a échoué ! Si il n’y a pas de retour, on peut tout simplement ignorer que nous avons échoué. À l’époque fort lointaine de nos ancêtre, l’échec était mesurable :
le tigre à dent de sabre m’a :
– perdu de vue, je suis trop fort
– m’a arraché ma peau de bête, il faudra que je m’améliore
– m’a mordu mon bras, peut mieux faire
– m’a bouffé. Game over.
Comme on va éviter de trucider chaque élève qui fait une erreur, l’enseignant a un rôle à jouer en tant que regard extérieur. On laisse l’apprenant faire l’expérience de l’échec, tout en s’assurant qu’il a compris que c’est bien un échec.
Bien sûr, l’enseignant est toujours là pour enlever l’une ou l’autre pierre sur le chemin. Pour vérifier la météo. Pour distiller des conseils. Mais seul l’action de faire permet d’incorporer. Et faire, c’est accepter d’échouer. Mais ce n’est pas grave. On fera mieux la fois d’après. Et on échouera encore mieux. As it is.
sondag Marie-bénédicte
bien écrit…
surtout encourager!!!