Pour le passage de grade du 16 avril 2022.
En Aïkido, dit-on, la seule compétition qu’on envisage est vis-à-vis de soi-même.
Pour moi, l’Aïkido est cet aller-retour entre soi et les autres :
de moi vers moi
de moi vers les autres
des autres vers moi
retour en spirale à un point qui n’est maintenant plus tout à fait le même que celui du départ
Car ce que j’ai en tout cas compris de l’Aïkido, c’est qu’il est art de relation, la relation au moi profond, la relation au partenaire, la relation à tous les pratiquants autour, la relation à tout l’environnement.
Cette relation, je la vis à ma manière, qui est elle aussi particulière, car je suis hypersensible. Il ne s’agit pas d’un terme condescendant ni, comme je l’ai longtemps pris, d’une insulte :
« Oh mais tu es hypersensible ! » (En général cette phrase se doit d’être prononcée d’un ton dédaigneux ou exaspéré – le but étant bien sûr de faire comprendre à l’hypersensible que, s’il pouvait arrêter de l’être, ce serait plus vivable, merci.)
Il s’agit de mon quotidien : vivre tout très fort, avec une intensité parfois éprouvante. Le moindre bruit ou mouvement au loin détourne mon attention, il est difficile pour moi de rester concentrée longtemps, je me sens agressée par le plus innocent des stimuli (parfois un simple regard). La relation aux autres, au monde, est complexe, ardue, violente, intense.
Les émotions aussi sont sauvages, imprévisibles. Même lorsque la situation est « rationalisée », les émotions veulent leur part du gâteau et tiennent impérieusement à le faire savoir, là tout de suite !
Je suis venue à l’Aïkido par hasard, j’ai commencé la pratique en suivant mon frère qui en faisait. Comme je n’ai jamais été sportive, l’absence de compétition m’a tout de suite séduite : pouvoir
pratiquer non pas dans le but de performer à un évènement, mais juste pratiquer pour pratiquer. Malgré le fait que « ça me plaisait bien », il m’a fallu des années de pratique en dilettante pour que je trouve un intérêt supérieur à celui de la seule dynamique de groupe.
Des années au cours desquelles j’ai appris à m’ouvrir aux autres mais aussi à moi-même. La pratique de l’Aïkido est devenue pour moi une aide pour appréhender le monde, les autres, moi-même ; le tatami est le laboratoire bienveillant et exigeant qui me permet de lâcher prise et de réapprendre à être avec les autres.
La pratique cristallise tout ce qui est challengeant pour moi, autant physiquement que mentalement : la proximité, le contact, la concentration et surtout la gestion de la pression. Venir à ce stage est un défi qui me bouscule encore plus au-dehors de ma zone de confort. Ce n’est pas un évènement que je me sens prête à affronter. Plutôt que de lutter contre, je vais donc essayer de faire comme l’eau et suivre le cours des choses avec le plus de fluidité possible. Encore une fois, de lâcher prise.
Écrire sur l’Aïkido, sur la relation que j’entretiens avec cet art martial, me fait rencontrer les mêmes difficultés : essayer de ne pas trop penser, de livrer le plus simplement ma pensée, de laisser tomber les surcouches, de me libérer du jugement, de permettre aux autres d’entrer en contact sans me sentir agressée. Car écrire finalement, c’est permettre aux autres de devenir intimes avec nos pensées. Alors encore une fois, je me sens mal à l’aise et pas à ma place.
Aujourd’hui, à la veille ce passage si symbolique, rédiger ce texte me plonge dans cet exercice d’introspection qui me fait sourire. Je trouve cela très prétentieux d’écrire sur l’Aïkido et sur ma relation avec ce dernier.
Alors pourquoi ne pas pousser plus loin la prétention et citer T.K. Chiba, à propos de l’origine du terme Birankaï : « Le mot Biran appartient à la terminologie bouddhique et désigne la tempête cosmique qui précède les changements survenant dans l’ordre cosmique. C’est une force de rétablissement. La tempête peut être puissante et violente, elle se manifeste spontanément pour restaurer l’ordre, mais, dans le même temps, elle produit un effet de guérison par le nettoyage et la purification. »
Cette tempête, je la ressens quand je pratique, elle tonne en moi et parfois me fait peur. Pouvoir la vivre dans un dojo bienveillant lui donne un sens plus grand, qui me dépasse. Trop souvent, je la subis ou je me dresse contre elle, mais dans certains moments de grâce je crois vibrer à son diapason.
Dans ma pratique actuelle, ce qui est important pour moi et que je cherche à développer, c’est le schéma suivant, qui peut se répéter en spirale :
-être capable de préserver mon intégrité -pour être en capacité d’accueillir l’autre « comme il est » -avoir suffisamment confiance en moi et en mon partenaire pour pratiquer avec la juste intention
Trop souvent encore je me retrouve tétanisée par la pression (violence ressentie, mental à bout), mon objectif pour mes années à venir de pratique est de libérer ces tensions pour pratiquer avec un mental apaisé et disponible. Je travaille à me libérer de mes peurs.
« Je ne connais pas la peur, car la peur tue l’esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l’oblitération totale. J’affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu’elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n’y aura plus rien. Rien que moi. »
Frank Herbert, Dune
sondag Marie-Bénédicte
très belle approche, bravo!!!
… une difficulté peut devenir un cadeau caché à ouvrir pour y découvrir un trésor! mais il faut aussi parfois l’aide extérieure à notre « je » : l’aide de l’Univers. Je pense que l’Aïkido est aussi cette aide (bien que n’étant pas moi-même pratiquante!). Chacun sa voie…